10 Juil Le leader, embrayeur émotionnel
On sait l’importance, pour la richesse, la dynamique et l’équilibre de l’équipe, de disposer de Talents divers et complémentaires. Il est un autre facteur de performance collective tout aussi déterminant : la capacité du leader à modifier son registre émotionnel et celui de son équipe selon le moment et la nature de l’activité.
A l’instar d’un chef d’orchestre qui, selon le mouvement (allegro, adagio, andante, etc.), change de style de direction pour faire émerger d’autres sonorités et d’autres couleurs, le leader doit recourir à un mode d’animation différent selon le type d’activité. Ou, pour emprunter des images au monde de la mécanique, il est appelé à fonctionner comme un engrenage ou un embrayage qui met en relation les énergies de l’équipe avec le régime requis, ou encore comme un injecteur qui insuffle dans le «team spirit» les ingrédients adéquats.
Le leader influe sur la dynamique physiologique, mentale et comportementale du groupe. Par son discours, mais aussi par le débit et le ton de sa voix, par son regard, par sa démarche et son geste, toute son idiosyncrasie et son style d’animation transmettent une émotion qui induit dans l’équipe l’allure cognitive et émotionnelle appropriée.
Précisions théoriques :
1. « cognitif et émotionnel » il faut entendre que le leader non seulement pose le cadre et les questions utiles au traitement rationnel de la problématique (aspect cognitif), mais insuffle aussi les émotions congruentes appropriées. L’émotion n’est pas à comprendre ici comme une affection – agréable ou désagréable – subie par le sujet et qui perturberait sa pensée et son action. Lorsqu’elle est proactive, positivement et volontairement suscitée, elle devient une composante essentielle de la motivation, prédisposant physiologiquement, mentalement et « comportementalement » à libérer le type d’énergie requis par l’objectif.
2. Quoique chacun soit limité et contraint par ses préférences et talents personnels, l’effet d’entraînement du groupe facilite le déplacement et la réaffectation de ses énergies. Nous portons en nous tous les profils, même si certains sont plus lointains et inaccessibles. Ainsi un profil de type jaune peut momentanément être excité et intéressé par un objectif bleu, un profil de type vert peut momentanément se sentir conquis par une projection en rouge, etc.
Pour une théorie des moments
La structure quadricolore du modèle TLP distingue nettement les différents registres à la fois cognitifs et émotionnels que le leader doit pouvoir enclencher dans son équipe, des registres qui ont des fonctions différentes, qui obéissent à une logique et à une temporalité différentes.
Le leader annonce la couleur, fixe l’objectif, le dispositif et l’allure adéquate à chaque moment :
En jaune, il se montre joyeux, joueur, optimiste (moment « Diverger »)
Dans cette phase apprenante, chercheuse et créative, le leader met en place un open space, modulable, sans mobilier fixe, dans lequel il est aisé de se lever et de se déplacer pour formuler et noter des suggestions. Il génère une atmosphère d’ouverture et de légèreté propice à l’expression libre, originale et multiple (le mode Idées-Flexibilité). Chacun doit prendre plaisir à imaginer et à avancer dans l’inconnu sans crainte de l’erreur, du jugement et de la contestation. Il n’y a ici aucun risque, on se situe dans le virtuel. Le leader bloque évidemment les autres registres pour laisser cours à la seule puissance intuitive, à l’idéation et à la fantaisie. Il s’étonne, se réjouit, avide de nouveautés et d’excentricités.
Une fois les idées générées on change de compartiment et se déplace dans le champ de la décision, en rouge. Fini l’association informelle de lanceurs d’idées qui prévalait dans le champ jaune, l’improvisation n’a plus cours. La structure et le fonctionnement de l’équipe se transforment.
En rouge, il donne l’exemple de l’ambition et de la pugnacité (moment « Push »)
Dans cette phase de projection et de détermination, il met en place un cadre frontal qui favorise le challenge et les discussions serrées. Il se montre audacieux, en appelle à l’esprit d’entreprise, pose des objectifs élevés qui donnent le goût du défi (mode Idées-Structure). Le tempo doit être ici rythmé et énergique, c’est celui du guide ou du pionnier qui dégage la voie et qui va de l’avant. Par son ton énergique, le leader fait passer la nécessité de la prise de décision et la conviction du bien-fondé du choix qui sera opéré. Il pousse à évaluer, à critiquer, on débat et discute fermement autour des valeurs et des stratégies. On compare les options, soupèse les avantages, mesure les risques. Il faut parier sur l’avenir et il faudra trancher – même si la décision ne fait pas l’objet d’un consensus ou même s’il y a quelques raisons, il y en a toujours de bonnes, de continuer de s’interroger.
Une fois le plan arrêté, on change à nouveau de compartiment et se déplace dans le champ de l’exécution, en bleu. La structure et le fonctionnement de l’équipe de nouveau se transforment. L’improvisation et les libres associations qui prévalaient dans le champ jaune, de même que la discussion virile et critique autour des enjeux qui étaient la règle dans le champ rouge, sont bannies.
En bleu, il se fait organisé, résolu, inébranlable (moment « Converger »)
En bleu on ne s’occupe plus des fins, mais des moyens. On considère les choses telles qu’elles sont actuellement : « De quels moyens – compétences, temps, finances, etc. – disposons-nous exactement ? Comment les combiner le plus efficacement pour réaliser les objectifs ? » Il faut mettre les choses au carré : fixer la chaîne de commandement, attribuer à chacun les missions et les responsabilités, établir les processus (mode Expérience-Structure). La partition est écrite, le souci de discipline et de conformité est premier. Il faut se montrer opiniâtre et fier de délivrer ce qui a été convenu. Le leader se fait l’exemple du sérieux et de l’engagement. Sa démarche est tranquille, ferme, son discours se fait simple et droit. Selon la fameuse expression, il « dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit » et ne laisse pas place au doute : le système est ajusté, les compétences assurées, les résultats seront au rendez-vous.
En vert il se montre accueillant, proche et compréhensif (moment « Pull »)
Autre déplacement : dans le champ vert, le leader dispose un cadre accueillant et confortable favorisant une atmosphère de proximité, d’intimité etde confiance. Il ralentit le jeu, invite à l’écoute, au feedback (mode Expérience-Flexibilité)et, par la douceur de son ton, à l’harmonie. Il est le premier à parler de lui, à faire acte de sincérité en exprimant ce qu’il ressent, les éventuelles difficultés qu’il rencontre. Le but est d’inciter au parler vrai et à la compréhension. L’écosystème créé ici repose sur la modestie, la reconnaissance et le souci d’intégration. C’est un moment de respiration – à l’opposé d’un moment en rouge dans lequel le leader pousse virilement tout le monde à s’oublier et à se dépasser …pour conquérir le Graal.
Ainsi le leader sépare et compartimente les différents moments de travail qui ne doivent pas interférer les uns dans les autres, de la même manière que le chef d’orchestre ménage un silence entre deux mouvements ou que le conducteur passe par le point neutre lors d’un changement de vitesse. S’il échoue à dissocier ces moments, il s’installe dans le groupe une désynchronise ou disharmonie, sorte de Babel cognitif et émotionnel. Dans la prochaine Newsletter, nous présenterons des exemples d’intrusion d’une couleur dans l’autre et la confusion ainsi engendrée. Nous nous nous demanderons aussi comment le leader – en dépassant la rigidité de ses préférences et en développant sa capacité meta – peut lui-même basculer dans les différents champs.
O.W. 09.2017